Retraite chapeau de Philippe Varin : arrêtons l’hypocrisie !

Sortie en début de semaine par la CGT, l’affaire « des 21 millions » de monsieur Varin aura suscité une vive émotion du public, des médias et des hommes politiques tout au long de cette semaine.

La CFTC PSA, par la voix de Franck Don, délégué syndical central, a réagi aux informations diffusées tout au long de la journée de mercredi (cf son interview sur europe1: europe1 Journal de 12h30 du 25/11/13 ), en dénonçant, dans un premier temps, ce que pouvait avoir de choquant ce type d’annonce dans le contexte de crise que traversait PSA, et saluant en fin de journée la décision de monsieur Varin lorsque celui-ci annonçait finalement renoncer à toucher cette fameuse retraite chapeau de 21 millions.

Le temps de l’émotion étant passé, il nous a semblé important de revenir ici sur le fond de cette affaire, et surtout de dénoncer les nombreuses hypocrisies, voir les manipulations auxquelles nous avons pu assister tout au long de la semaine écoulée.

Affirmer que monsieur Varin allait toucher un chèque de 21 millions à son départ à la retraite était à la limite de la désinformation. Le chiffre de 21 millions est énorme, choquant, voir immoral. La réalité est plus nuancée et a d’ailleurs fait l’objet de mises au point, tant de la direction de PSA que des journalistes (mais le mal était fait, et on continuera de parler d’un cadeau de 21 millions). Puisqu’il ne s’agit pas d’un « parachute doré » (prime au départ, utilisé par certaines entreprises, mais pas, à ce jour, chez PSA), mais d’un dispositif de retraite supplémentaire (dite retraite chapeau), il n’a jamais été question que Philippe Varin touche ce capital en partant de PSA.

Alors de quoi s’agit-il, et combien aurait-il dû toucher ?

PSA a mis en place depuis de nombreuses années pour les membres du Directoire, un dispositif de retraite supplémentaire, dite « à prestation définie ». Il s’agit d’un système d’assurance collective permettant de compléter les régimes de retraites classiques (sécu et Agirc/Arco) et de garantir à ces messieurs de toucher, une fois en retraite, entre 30 et 50% de leur rémunération de « référence » (tenant compte des salaires des 5 dernières années). Pour obtenir ce résultat, PSA verse, ou provisionne, la somme correspondante sur un FCP (chez AXA).

Mais comment passe-t-on des 21 millions annoncés dans un premier temps, à la rente annuelle de 310 k€ qu’aurait réellement touchée monsieur Varin s’il n’avait pas renoncé à ce dispositif ? Selon nos informations le calcul est le suivant :

Il s’agit d’un dispositif destiné à compléter les autres régimes de monsieur Varin, il n’y a pas donc lieu de verser 310 k€/an, mais en réalité 270k€/an (net) en complément des autres prestations (sécurité sociale/Agirc/Arco)

Comme tout dispositif d’assurance retraite, il est construit sur une hypothèse d’espérance de vie du bénéficiaire, estimée classiquement à 25 ans après le départ en retraite (à 65 ans)

Le calcul à ce stade donne donc 25*270 k€ = 6,75 millions d’euros.

On est encore loin des 21 millions, alors d’où vient la différence ?

Réponse simple : des taxes, prélèvements et autres impositions, considérablement renforcés sur ce type de retraite chapeau, par le précédent gouvernement. Sur les 21 millions provisionnés c’est donc plus de 14 millions qui seraient allés dans les caisses de l’état !

Première hypocrisie, celle des politiques, qui font mine de croire qu’en taxant ce type dispositif on limitera les bénéfices qu’en tirent les dirigeants d’entreprise. Le cas de monsieur Varin est caractéristique : si les taxes augmentent, c’est l’entreprise qui est priée de rajouter la différence ! Normal, puisque ce sont ceux qui votent ces dispositifs qui en bénéficient (du fait du mal, très français, de la consanguinité des conseils de surveillance et d’administration). Dans ce domaine, gageons que la taxation de 75% des très hauts revenus, conduira dans les très grandes entreprises françaises, à des  solutions de contournements pour maintenir les revenus, net d’impôts, de nos grands patrons.

Hypocrisie également de la part de ceux qui font mine de découvrir l’ampleur des sommes en jeux chez PSA. Ce dispositif existe de longue date, dans notre groupe, comme ailleurs. Nous nous en étions émus, ici même, dans un article sur « la retraite du Directoire de PSA » dans lequel nous expliquions le fonctionnement de ces fameuses « retraites chapeau », en précisant même que monsieur Varin devrait «rester dans le groupe jusqu’en mai 2014 pour prétendre à cette “retraite chapeau” s’il décidait de faire valoir ses droits à la retraite à cette date. ». Même sans être au courant des subtilités fiscales et de la complexité des montages financiers de ces dispositifs de retraite supplémentaire, il n’est pas très compliqué d’extrapoler les sommes en jeux. Assurer un complément de retraite à hauteur de 30 à 50% de la rémunération d’un directoire dont les membres touchent entre 618 K€ et 3300 k€ ne peut que monopoliser des sommes considérables.

Hypocrisie encore pour les représentants de l’état (ceux d’aujourd’hui comme d’hier) qui s’émeuvent devant les caméras du scandale des retraites chapeau chez PSA, mais qui oublient que le même dispositif est en œuvre chez Renault (cf ci-dessous), alors que l’état y étant majoritaire, pourrait y mettre fin sans avoir besoin d’une loi pour ça !

Hypocrisie du MEDEF surtout, qui veut nous faire croire qu’il n’est pas utile de légiférer dans ce domaine, ni dans celui des rémunérations des dirigeants d’entreprises. Certes, messieurs Gattaz (Président du MEDEF) et Pringuet (Président de l’AFEP) se sont saisis de l’affaire. Mais comment pouvait-il en être autrement au vu de l’ampleur médiatique qu’elle prenait ?

En fin de journée, après avoir salué « le sens de la responsabilité » et la décision « courageuse » de Philippe Varin, ils s’accordaient un satisfecit en ajoutant : « cette décision est la démonstration de l’efficacité de l’autorégulation ».

Mais de qui se moque-t-on !

Comment oser parler d’autorégulation lorsqu’on attend, pour s’en saisir, qu’une affaire fasse la une des médias et provoque les commentaires acerbes des ministres. Messieurs Gattaz et Pringuet, autorégulateur ? Pompiers à la rigueur, et des pompiers bien négligents, peu adeptes de la prévention.

A chacune de ces interventions, et conformément à ce qu’indiquent les documents de référence de PSA, monsieur Varin précisait d’ailleurs que « le régime de retraite d’entreprise du Groupe est conforme aux recommandations du Code de gouvernement d’entreprise AFEP-MEDEF, et a été approuvé par l’Assemblée Générale des actionnaires ».

La CFTC recommande donc à messieurs Gattaz et Pringuet, mais aussi à l’Etat actionnaire, de parcourir soigneusement le document de référence 2012 de Renault (disponible ici) et en particulier son chapitre 3.3 (page 180) dans lequel on peut lire :

“RÉGIME DE RETRAITE SUPPLÉMENTAIRE

Par décisions du Conseil d’administration du 28 octobre 2004 et du 31 octobre 2006, les membres du Comité exécutif Groupe (CEG) bénéficient d’un régime de retraite supplémentaire. Ce régime comprend :

■ un régime à cotisations définies de 8 % de la rémunération annuelle comprise entre huit et seize fois le plafond annuel de la Sécurité sociale, pris en charge à 5 % par l’entreprise et à 3 % par le bénéficiaire ;

■ un régime additif à prestations définies ne pouvant excéder 30 % de la rémunération d’activité et soumis à des conditions d’ancienneté et à l’achèvement de la carrière au sein du Groupe”

Puis, un peu plus loin :

“Dans le contexte actuel, la retraite totale, y compris le dispositif supplémentaire que les bénéficiaires devraient recevoir, y compris le Président-Directeur général, peut être estimée de 30 % à 45 % de leur rémunération d’activité de référence du fait de leurs différences d’ancienneté au sein de Renault et du CEG. La rémunération de référence utilisée pour le calcul des retraites des régimes à prestations définies est égale à la moyenne des trois rémunérations les plus élevées perçues au cours des 10 dernières années précédant le départ en retraite.”

Sachant que la rémunération de Carlos Ghosn dépasse régulièrement celle de monsieur Varin (2,888 millions d’euros pour monsieur Ghosn en 2012 contre 1,3 millions pour monsieur Varin) il est plus que vraisemblable que les sommes en jeux soient encore plus élevées chez Renault que les 21 millions de PSA.

Au-delà des sommes en jeu, ce qui a pu paraitre immoral à certain, c’est que de telles rentes soient versées pour une période effective de travail dans l’entreprise très courte : 310 k€ de rente annuelle pour 5 ans à la tête du groupe, ça semble scandaleux. Mais là encore ce n’est ni monsieur Varin, ni PSA qui sont en cause, mais plus généralement la stupidité du système mis en place par les grandes entreprises françaises :

Les retraites à prestations définies dont il est question, présentent l’avantage pour les bénéficiaires d’être entièrement financées par l’entreprise. Mais l’inconvénient majeur d’être définitivement perdues pour l’intéressé, si celui-ci quitte l’entreprise avant son départ à la retraite. Si monsieur Varin était parti de PSA, avant d’avoir atteint l’âge de la retraite, ou avait quitté le Groupe pour un autre employeur, il aurait dû mécaniquement, dire adieu à sa rente viagère de 310 k€/an. De la même manière, tous les dispositifs de retraite chapeau qui ont pu être mis en place pour lui, tout au long de sa carrière, ont été annulés au fur et à mesure qu’il quittait ces entreprises. Dans ce système, c’est donc la dernière entreprise (PSA en l’occurrence) qui paie pour toute la carrière de l’intéressé ! A l’inverse, et de manière caricaturale, une entreprise qui ne prendrait comme dirigeant que des hommes de 50 ans, et qui les mettrait à la porte systématiquement à 60 ans, pourraient faire miroiter les dispositifs de retraite chapeau les plus avantageux du monde, sans jamais avoir à débourser un seul centime (mais devrait quand même les provisionner dans ses comptes). On comprend l’absurdité d’un tel système.

Il est naturel que, comme tous salariés, les dirigeants des Très Grandes Entreprise pensent à leur retraite et prévoient leur financement. Compte tenu des très hauts niveaux de rémunérations qu’ils atteignent, il semblerait normal qu’ils épargnent, tout au long de leur carrière, une fraction importante de leurs revenus, en prévision de leurs vieux jours. Gageons que c’est ce qu’a dû faire monsieur Varin, et qu’il est aujourd’hui à l’abri du besoin, même sans cette rente de 310 k€.

Mais soyons clair, il n’est pas question ici de nous en prendre à la personne de monsieur Varin. L’activité syndicale peut nous amener à combattre des décisions prises par la direction de PSA, lorsqu’elles ne nous semblent pas œuvrer pour le bien commun, cela ne nous empêche pas, comme dans le cas présent, de reconnaitre, l’intégrité morale de certains de nos dirigeants…

C’est donc le système en place au niveau national, que nous dénonçons ici !

Dans l’article sur les retraites chapeau que nous avions publié en février dernier, nous nous étonnions que les membres du Directoire de PSA bénéficient encore d’un régime à prestation définie, alors que depuis 2002 le reste des cadres de l’entreprise, avaient basculé sur un régime complémentaire à cotisation définie. Il est maintenant temps de mettre fin à cette disparité !

Pour mémoire, vous trouverez ci-dessous le tableau des autres membres de PSA qui, si rien n’est fait, bénéficieront d’une retraite chapeau à prestation définie. Compte tenu de son âge et de son ancienneté dans le groupe, il est à craindre que le prochain scandale concernera plus particulièrement monsieur Frédéric Saint-Geours (chargé de mission depuis plusieurs mois) dont le montant provisionné s’élève aujourd’hui à plus de 12 millions d’euros

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